Dire, ne pas dire

Vouer aux gémonies

Le 11 avril 2024

Expressions, Bonheurs & surprises

NOTRE DÉFINITION

Traîner, vouer quelqu’un aux gémonies, l’accabler publiquement d’outrages.

L’HISTOIRE

Les Gémonies, littéralement « l’(escalier) des gémissements », qui tirent leur nom du latin gemonia (scalae), un dérivé de gemere, « gémir », étaient, dans la Rome antique, le lieu où l’on exposait le corps des criminels, étranglés en prison, avant de les jeter dans le Tibre. L’expression traîner ou vouer aux gémonies a pris son sens figuré actuel au xixe siècle.

On peut se demander ce qui explique le succès de cette expression, qui fait référence à une réalité historique ancienne assez peu connue et qui n’est pas propice à une remotivation étymologique. Peut-être est-ce dû au nom même de gémonies, à sa forme sonore, qui rappelle gémir, gémissement ou même démon : c’est ce qu’ont pensé certains historiens de la langue. Son caractère mystérieux a pu également contribuer à la pérenniser, d’autant que vouer garde de son premier sens une forme discrète de halo religieux.

D’AUTRES EXPRESSIONS

Il y a bien d’autres expressions que l’on doit à la dureté de la justice d’autrefois. Donner le coup de grâce à quelqu’un a un sens métaphorique depuis le xviiie siècle et signifie « le perdre, le ruiner définitivement ». À l’origine, le coup de grâce était celui que l’on portait à un supplicié pour abréger ses souffrances. On se souvient ainsi que, dans Le Capitaine Fracasse, Chiquita tue d’un coup de couteau au cœur Agostin, le maître voleur dont elle était amoureuse et que le bourreau s’apprêtait à rouer. Mais la cruauté de la situation (derniers moments d’un condamné) fait que l’on n’a pas retenu l’aspect miséricordieux du coup et que, en sortant du domaine proprement judicaire, il est devenu une marque de l’acharnement de quelqu’un.

Autre expression intéressante Être sur la sellette, ainsi glosée dans notre Dictionnaire : « être exposé au jugement d’autrui, faire l’objet de critiques ou être soumis à un feu de questions ». La sellette désignait, sous l’Ancien Régime, « le petit siège de bois très bas, sur lequel on forçait un accusé à s’asseoir quand on l’interrogeait pour le juger ». L’expression a connu un premier emploi figuré à la fin du xvie siècle : ce n’était plus un accusé qui était assis, mais un étudiant qui soutenait une thèse. L’aspirant docteur pouvait rester jusqu’à douze heures sur ce siège tandis que ses maîtres se relayaient pour l’interroger.

Enfin, citons Brûler à petit feu. Le sens de cette expression s’est adouci au cours du temps. Aujourd’hui, vous me faites brûler à petit feu signifie « vous excitez trop longtemps mon impatience ». Mais, dans la première édition de notre Dictionnaire, on lisait : « Brusler un homme à petit feu, pour dire, Le faire languir, en faisant durer long-temps des chagrins, des inquietudes, des peines d’esprit, qu’on pourroit luy espargner, ou luy abbreger. » Au sens propre en effet, comme l’écrit Littré, brûler à petit feu, c’est « brûler lentement un condamné, afin de rendre le supplice plus cruel ».

POUR ALLER PLUS LOIN

Vouer est dérivé de vœu, qui vient lui-même du latin votum, désignant une promesse faite aux dieux. Le verbe est sorti du domaine strictement religieux au xviie siècle, comme ses dérivés dévouer et dévouement. Mais les emprunts tels dévot, dévotion, votif, entrés plus tardivement dans la langue et par l’intermédiaire du latin d’Église, ont gardé cette valeur proprement religieuse.

Voter est aussi un terme remontant au même étymon, votum, mais n’a pas gardé son sens religieux : à l’imitation de la langue anglaise, il a pris au xviiie siècle le sens politique qu’on lui connaît aujourd’hui. Outre-Manche en effet, to vote a signifié dès le xvie siècle « exprimer son opinion, dire ce que l’on souhaite en votant ». Et c’est ce verbe anglais qui a donné les mots français voter puis vote.